L'imposture comme mode de gouvernement

Publié le par Mahalia Nteby

Scandale des déchets toxiques en Côte d'Ivoire - Il y a quelques mois, un navire affrété par une compagnie appartenant à un proche de Jacques Chirac entrait dans le Port Autonome d'Abidjan. Avec la complicité d'entreprises étrangères et locales et de fonctionnaires ivoiriens corrompus et/ou irresponsables, les produits toxiques qui constituaient la cargaison du navire Probo Koala ont été déversés dans plusieurs communes d'Abidjan, causant la mort de dizaines de personnes et intoxiquant gravement des milliers d'autres.

Le Premier Ministre Charles Konan Banny, après avoir honteusement présenté la démission de tout son gouvernement pour ne pas avoir à sanctionner individuellement les auteurs de cette tragédie qui en faisaient partie, a entrevu une possibilité de mettre à mal le président Gbagbo en faisant accuser ses proches et en ordonnant leur suspension immédiate, sur des bases inconnues de tous. Parallèlement, il a mis sur pied une commission d'enquête dont le rapport vient de sortir, et dont on s'aperçoit aujourd'hui qu'elle n'avait d'autre objectif que de venir étayer coûte que coûte la stratégie de déstabilisation du président par le premier ministre.

Le Courrier d'Abidjan sort un spécial de 24 pages sur le sujet ce 27 novembre 2006. Un document essentiel pour comprendre jusqu'où peuvent mener les politiques politiciennes d'apprentis hommes d'Etat imposés par la France en Côte d'Ivoire.

J'ai décidé de publier ici l'éditorial de Théophile Kouamouo relatif à cette édition spéciale, parce qu'il retranscrit exactement mon sentiment et celui de beaucoup d'autres, qui ont été affectés personnellement et de façon durable par ce scandale.

Mahalia Nteby


L'imposture comme mode de gouvernement

Le journal spécial que vous tenez entre les mains est le fruit d'un travail-marathon. Après la publication du rapport remis au Premier ministre Charles Konan Banny par la magistrate hors hiérarchie Fatoumata Diakité, nous avons très vite ressenti l'ardente nécessité de mettre à votre disposition ces 24 pages constituées du rapport vraiment intégral (encore jamais ventilé dans la presse), de nos analyses, reportages et rappels, mais aussi des «réponses» de certains des mis en cause.

Pourquoi ? Parce que le scandale des déchets toxiques a été un moment tragique particulièrement fort de l'Histoire de la Côte d'Ivoire. Avoir avec soi l'intégralité du rapport Diakité, des observations et les critiques des grands «accusés» est une nécessité relevant du devoir de mémoire.

Faisons-nous ce spécial pour «soutenir» des «camarades» mis en cause dans le scandale ? Assurément, non.

Dès que l'affaire des déchets toxiques a été éventée, notre souci a toujours été de vous informer, envers et contre tout. Les déchets toxiques ne trient pas. Ils ne sont ni de gauche ni de droite. Ils nous tuent tous de la même manière. Ceux qui les ont déversés ont un égal mépris de nos vies. De toutes nos vies.

Nous avons donc choisi le créneau du journalisme d'investigation pour traiter ce dossier. Nous avons donné la parole à une population dont la colère n'avait pas de parti politique et qui s'en prenait indistinctement à toutes les élites citées dans l'affaire. Nous avons cheminé vers la vérité, y compris en donnant la parole à un «tout-sachant», le Colonel Tibé Bi Ballou, dont le mélange de révélations et de manipulations a fait avancer l'enquête. Puisqu'il a été le signal pour que ceux qu'il accusait réagissent.

Nous avons été les premiers à faire le lien, à la suite d'une enquête minutieuse, entre le Probo Koala et la galaxie de Patrick Maugein, ami du président Jacques Chirac, Corrézien comme lui, déjà impliqué dans l'affaire de la violation de l'embargo pétrolier par l'Irak de Saddam Hussein. Après les sarcasmes habituels des complexés qui se scandalisent qu'on puisse voir la Chiraquie partout, des journaux français sérieux - pour eux - comme Libération, Le Monde, Le Nouvel Observateur et Le Canard Enchaîné, ont confirmé le résultat de nos enquêtes.

Nous avons été les premiers à nous demander pourquoi les autorités ivoiriennes ont laissé à une compagnie appartenant visiblement à un système adverse la liberté de s'installer en Côte d'Ivoire. Nous avons vilipendé les incohérences tactiques de la Refondation.

Nous avons refusé de soutenir systématiquement certains des responsables mis en cause et qui se trouvent, peu ou prou, dans la galaxie patriotique. Cela nous a valu l'incompréhension de plusieurs.

Pourquoi ce spécial donc ? Parce que, après lecture du rapport de Fatoumata Diakité, nous avons bien compris que l'on voulait faire gober une imposture à l'opinion publique ivoirienne. Faire passer la poursuite de la «rébellion administrative» pour une vertueuse opération «mains propres».

C'est au nom de l'insurrection intellectuelle contre une pensée unique perverse et manipulatrice, qui veut se poser en référentiel alors qu'elle n'est que pourriture morale, que nous publions ce spécial. Il comprend l'intégralité du rapport que vous pourrez décortiquer, et notre regard sur ce rapport. Il ne vous oblige pas à penser comme nous. Il vous donne des instruments nécessaires pour vous faire votre opinion.

Au fond, nous sommes persuadés que le scandale du Probo Koala, comme la majorité des maux qui minent la Côte d'Ivoire, vient de plusieurs maladies généralisées : le laxisme, la paresse, la légèreté, la vénalité inconsciente. Ces maux, nous les combattons. Nous publions ici un reportage de Georges Kouassi au Ghana et au Bénin. Il nous montre comment nos voisins travaillent. Comment en amont ils s'organisent pour que leur administration soit forte et méthodique. Pour que leurs populations soient protégées des flibustiers internationaux de tout poil.

Ceci dit, nous refusons que notre désir de réformes soit pris en otage par un prestidigitateur qui veut utiliser nos espérances légitimes pour nous servir une soupe imbuvable, préparée à partir de recettes d'apprenti-sorcier.

Nous savons différencier la vérité du mensonge. Fatoumata Diakité et Charles Konan Banny ne disent pas la vérité. Leur rapport est orienté et mensonger.

Nous ne disons pas que Gossio, Gnamien et Amondji sont innocents. Nous disons que leurs noms sont cités dans ce qui est, pour des raisons que nous explicitons, une cabale politicienne. Ils sont peut-être coupables. C'est un tribunal qui doit l'établir et non un gros document où vérités, mensonges, approximations et manipulations se côtoient. Mais comme le veulent le droit et la morale républicaine, ils sont présumés innocents tant que leur culpabilité n'est pas établie par un jugement équitable.

Théophile Kouamouo in Le Courrier d'Abidjan - Edition Spéciale - 27 Novembre 2006

Publié dans Côte d'Ivoire

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