Dieu n'est plus français

Publié le par Mahalia Nteby


Le Conseil de sécurité de l’Onu se penche à nouveau depuis mercredi sur le cas de la Côte d’Ivoire. Le texte de la résolution que les 15 membres du Conseil auront à examiner pour adoption, n’est pas du tout celui adopté il y a une semaine par le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union africaine à Addis-Abeba. Les propositions de l’Afrique sont jugées insuffisantes par le président français Jacques Chirac qui s’est octroyé le droit de les corriger. Et, dans une logique onusienne néo-coloniale impensable en plein 21e siècle, c’est la France qui a rédigé la nouvelle résolution du Conseil de sécurité sur la sortie de crise en Côte d’Ivoire. Et le texte français qui circule déjà à New York, est un vrai coup d’Etat, qui suspend la constitution ivoirienne, transforme le président Gbagbo en Reine d’Angleterre, le dépouillant de ses pouvoirs, au profit d’un Premier ministre non élu, dont le seul mérite est d’avoir été choisi par Chirac.

Si finalement le régime Gbagbo ne devait pas bénéficier demain du soutien de ses alliés russes et chinois au Conseil de sécurité, Jacques Chirac pourra enfin avoir la peau de son ennemi africain intime et Rfi va se gargariser de cette ‘’grande victoire’’. La France aime ainsi se mirer dans le regard de l’Afrique, pour se renvoyer d’elle-même l’image d’une belle et grande puissance. Comme le disait Louis Guiringuaud, ministre des Affaires étrangères de Giscard dans les années 70, « l’Afrique est le seul continent qui soit encore à la mesure de la France , à la portée de ses moyens. Le seul où elle peut encore, avec 500 hommes, changer le cours de l’histoire ».

La Côte d’Ivoire est en enjeu majeur de la politique africaine de la France : influence, richesses et grandeur. En leur accordant l’indépendance, la France a signé le 24 avril 1961, des accords de défense avec le Dahomey (actuel Benin), le Niger et la Côte d’Ivoire. Accords à travers lesquels, elle se réserve les matières premières et les produits stratégiques de ces pays (hydrocarbures liquides et gazeux, uranium, thorium, lithium, beryllium, etc). L’article 4 des Accords de défense prévoit par exemple que ces trois pays « facilitent au profit des forces armées françaises, le stockage des matières premières et produits stratégiques. Lorsque les intérêts de la Défense l’exigent, ils limitent ou interdisent leur exportation à destination d’autres pays ». Mieux, l’article 5 dispose qu’en ce qui concerne les produits stratégiques, les trois pays « réservent par priorité leur vente à la République française (…) et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle ».

55 ans après, ces fameux Accords de défense restent toujours en vigueur. Les régimes Houphouët, Bédié et Guéi ne les ont pas remis en cause. Laurent Gbagbo lui, a voulu mettre fin à cette situation de chasse gardée. Il a ouvert à la concurrence internationale, des pans entiers de l’économie ivoirienne dont les Français pensaient détenir le monopole. Or, la France ne peut tolérer l’existence dans cette zone d’influence, des dirigeants capables de mener une politique autonome. Il y va de sa grandeur, et même de sa survie. Tous les dirigeants de la Ve république française l’ont toujours affirmé : sans son Afrique, la France serait une vieille voiture sans carburant. Le général de Gaulle, le premier, déclarait en 1946 : « unie aux territoires d’outre-mer qu’elle a ouverts à la civilisation, la France est une grande puissance. Sans ces territoires, elle risquerait de ne l’être plus. » Plus tard, François Mitterrand reconnaissait que « sans l’Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au XXIe siècle ». Tandis que le RPR de Jacques Chirac proclamait lors des législatives de 1993 que « faire le deuil de ce continent équivaudrait, pour la France , à se condamner au cloaque des puissances moyennes ».

Jacques Chirac triomphera peut-être de Laurent Gbagbo, avec l’illusion que la France ne fera pas le deuil de son Afrique. Mais, rien ne sera plus comme avant. La Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo aura été une bonne nouvelle pour l’Afrique. Elle a annoncé la deuxième phase de décolonisation du continent. Dieu n’est plus français. Certes, et pendant longtemps encore, sans doute, les Africains continueront à regarder les matches de football sur Canal +, et à parier à Douala et Dakar, sur les courses de chevaux qui se courent à Vincennes. Mais, la France n’aura plus jamais la même influence. D’abord, l’irruption de la Banque mondiale et du Fmi a considérablement réduit son emprise sur le continent ; elle n’est plus l’interlocuteur privilégié des pays africains pour leurs difficultés économiques. Ensuite, la construction de l’Europe va de plus en plus diluer son action africaine au sein de l’Union. Et enfin, lorsque Chirac quittera l’Elysée en mai prochain, il emportera avec lui les derniers vestiges de la relation paternaliste françafricaine. Son successeur, de gauche ou de droite, sera élu parmi la nouvelle génération de dirigeants français sans grande expérience de l’Afrique et à laquelle les présidents africains ne doivent rien. Lesquels présidents africains seront de moins en moins de la culture et de la dévotion françaises des Bongo, Sassou et consorts.

Paris est donc plus que jamais condamnée à un aggiornamento de sa politique africaine. Si elle sait lire les signes des temps, elle comprendra qu’il est l’heure de passer de la relation maître – esclave, à la relation de partenariat et de respect mutuel avec l’Afrique. Du moins, si elle ne veut pas être boutée hors de ce continent qui lui donne tant, par les Chinois, les Américains et les puissances régionales émergentes comme l’Afrique du Sud. La France doit maintenant choisir, partir ou rester.

Melvin Akam in Libres Propos, 24/10/2006

Publié dans Politique africaine

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C
Felicitations !!!!
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@
Félicitations pour ce beau blog que vous publiez pour rendre notre Afrique digne et porter la voix de ses enfants au-délà de ses frontieres.<br />  Merci Mahalia (M. ou Mme?).
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