Mamadou Koulibaly: "Le bilan de M. Ouattara est une succession impressionnante d'illégalités"
La Nouvelle : D’entrée, avez-vous les nouvelles de l’ancien camarade Laurent Gbagbo, en prison à Korhogo ? Comment va-t-il ?
Mamadou Koulibaly : Malheureusement, je n’ai aucune nouvelle. Je suis intervenu auprès de différentes autorités pour obtenir un droit de visite, mais cela s’est avéré impossible. Elles nous ont dit d’attendre, donc nous n’avons d’autre choix que d’attendre.
Vous êtes donc au même niveau d’informations que tous les Ivoiriens. Pas de nouvelles de l’ex Président ?
Non, effectivement, je n’ai aucune nouvelle.
Vous êtes tout de même le président de l’Assemblée nationale.
Oui, mais même le Président de l’Assemblée nationale n’a pas de nouvelle, d’autant que les autorités semblent accorder bien peu d’importance à cette institution.
Vous qui êtes le chantre de la liberté d’expression, n’y a-t-il pas une gêne dans la valeur de cette expression ?
Si, mais depuis le 11 avril dernier, et même avant, nous avons eu quelques problèmes avec la liberté en Côte d’Ivoire. Il y a un procureur qui fait son travail, l’Assemblée nationale n’est pas tenue informée de ce qui se fait. D’ailleurs dans l’esprit des autorités de ce pays, l’Assemblée n’existe pas. Vous parlez de liberté, mais elle est inexistante.
A la surprise générale, il y a quelques mois, au moment où le Fpi est décapité avec l’emprisonnement de son leader, vous l’abandonnez pour créer votre parti. Votre décision était-elle opportune ?
Oui, très opportune, parce que nous étions arrivés au point où il m’était difficile de gérer le parti avec plusieurs têtes. Chacun agissait à son gré sans se soucier de l’unité du groupe. Moi, je suis méthodique. Quand on gère un parti politique, il y a une machine avec une tête. Mais quand on se retrouve avec un parti où chaque membre est une tête en soi, il est difficile de gérer, et la meilleure solution pour moi était de ne pas assumer les conséquences de cette gestion chaotique.
C’est étonnant de la part d’une personnalité qui tient bien la contradiction. Pourquoi êtes-vous contrarié lorsqu’on vous contredit ?
On ne m’a pas contredit, on m’a éjecté de fait, c’est différent. Je ne pouvais me résoudre à l’inertie du parti dans l’attente de la libération des prisonniers. Toute proposition d’action était rejetée et semblait suspecte. J’avais les pieds et mains liés, cela ressemble plus à de l’éviction qu’à de la contradiction, non ?
Lorsque vous parlez d’éjection, pouvez-vous être plus précis ?
J’ai été, par la force des choses, désigné président intérimaire d’un parti qui avait au moins deux représentants au Ghana. Il y a d’abord un monsieur qui affirme avoir une lettre signée de Laurent Gbagbo le nommant porte-parole officiel, et qui n’a aucun respect pour la direction officielle qui se trouve à Abidjan et gère en principe le Fpi. Pour ma part, j’étais à Abidjan, supposé être le président dudit parti. Mais il y a, toujours à Accra, une coordination des exilés et refugiés au Ghana qui pense aussi avoir une légitimité pour parler au nom du Fpi sans considération pour ce que je faisais à Abidjan. Ensuite, il y a à Paris, une autre direction du Fpi qui pense que pour des raisons affectives, elle est autorisée à parler au nom du Fpi. Ce sont les quatre têtes qui ont conduit à une cacophonie totale et j’avoue que je ne souhaitais pas gérer tout cela car il aurait fallu beaucoup d’énergie pour ne conduire finalement qu’à l’inefficacité. Ces gens ne me contredisaient pas, mais géraient la même machine en même temps que moi. Cette situation discordante m’a conduit à lever le pied. Quand j’ai commencé à assurer l’intérim il n’y avait pas un sou ni dans les caisses, ni dans les comptes du parti, du moins c’est ce qu’on m’a dit. Je n’ai donc travaillé qu’avec mes propres moyens, aidé en cela par quelques amis, sous les quolibets et autres accusations de ceux qui auraient du accepter de rendre des comptes aux militants. Il n’y avait plus de vie de parti, c’était la guerre permanente contre «Koulibaly le traitre». Je n’avais pas d’autres solutions que de laisser la créature aux héritiers du créateur.
Les Ivoiriens voudraient comprendre : au lendemain des élections présidentielles, il y avait un vainqueur déclaré par la commission électorale indépendante, et un autre reconnu par le Conseil constitutionnel. A l’investiture du second, votre camarade de parti, vous étiez absent. Au tour du premier, reconnu par la Cei on vous a vu aux premiers rangs. Cela signifie-t-il que pour vous, le véritable vainqueur de la présidentielle est Alassane Ouattara ?
(Soupirs !) J’ai répondu à plusieurs reprises à cette question, que voulez-vous que je vous dise ? Ouattara a prêté serment en tant que Président de la République de Côte d’Ivoire. Il a été reconnu par le Conseil constitutionnel, la CEI, le panel de l’Union africaine. Retenez ces résultats-là. Le point de vue de Koulibaly importe peu. Mais ce que je vais vous signaler, c’est qu’à partir du moment où les deux candidats à la présidentielle se sont entendus pour désigner un arbitre impartial selon eux, le panel de l’UA, cela mettait automatiquement à plat aussi bien les résultats de la CEI que ceux du Conseil constitutionnel. A partir de ce moment, l’UA était la seule instance qui pouvait arbitrer et trancher. Ses conclusions engageaient les deux candidats, et l’UA a déclaré qu’Alassane Ouattara était vainqueur. Il existe d’ailleurs un précédent notable en Côte d’Ivoire : En 2000, le président de la Cour suprême Tia Koné a fait prêter serment au général Guei en tant que président de la République le 24 octobre pour, 48 heures et 300 morts plus tard, faire prêter serment comme président de la République, cette fois à Laurent Gbagbo. Mon point de vue ne compte pas en la matière. Il y a des instances spécialisées pour cela. Je ne suis pas le juge des élections. Par contre, là où mes avis sont attendus et même exigés par les dispositions légales, j’ai été, par habitude, royalement ignoré.
Vous disiez, lors de la cérémonie de rupture de vos liens avec votre ancien parti que : et je cite : «le Fpi refuse d’assumer les conséquences des élections.» Pensez-vous franchement que votre parti d’alors a perdu les présidentielles ?
Le Fpi a accepté d’aller aux élections sans que nous n’ayons obtenu le désarmement. A la suite de cela, tout ce qui devait découler de ces présidentielles aurait dû être accepté automatiquement. Notre chef, le Président de la république d’alors, Laurent Gbagbo, a signé un accord de paix (Accord politique de Ouagadougou) avec Mr Soro Guillaume, le chef des rebelles et Mr Blaise Compaoré, le Président du Burkina Faso. Cet accord dit que le désarmement doit absolument se faire avant d’aller aux élections. Le Fpi n’était pas signataire de cet accord, mais puisqu’il avait un candidat, et que nous avons accepté à la demande dudit candidat d’aller aux urnes sans qu’il n’y ait désarmement, pour moi il n’était plus question, une fois les élections déroulées, de venir dire qu’il n’y a pas eu de désarmement, que nos adversaires ont triché et que nos militants ont été molestés. Il était évident que les choses allaient se passer ainsi. Il ne fallait pas aller aux élections sans désarmement. C’est au Fpi d’assumer les conséquences. La France ne nous a pas envoyé la guerre ; elle a profité de nos inconséquences pour nous la faire, hier comme aujourd’hui.
A la suite de la chute de Gbagbo, la plupart des dignitaires de Lmp et du Fpi ont été inquiétés par les nouvelles autorités. Curieusement, le numéro deux du régime que vous êtes a été épargné. Qu’est-ce qui explique cette exception, et quels sont vos rapports avec le nouveau régime ?
S’il y avait quelqu’un dans ce pays qui n’avait aucun rapport avec ceux qui sont au pouvoir en ce moment, c’est quand même Koulibaly ! Je n’étais à la signature d’aucun des accords qui ont rapproché l’ex camp présidentiel et celui d’aujourd’hui : le camp Gbagbo et le camp Ouattara. Je me suis toujours opposé à tout ce qui était arrangement avec la rébellion, tant que nous n’étions pas dans un Etat de droit. Vous vous souvenez que je n’ai pas été à la flamme de la paix (à Bouaké), ni à toutes les cérémonies qui étaient des arrangements entre la rébellion et l’Etat de Côte d’Ivoire. Donc, il n’y avait aucun rapport entre nous. Mais chacun a son histoire dans ce pays ; je suis resté dans mon coin pour observer le jeu qui se déroulait entre la rébellion et le pouvoir de l’époque. Et même quand ça c’est gâté, je suis monté au créneau pour parler aux uns et aux autres, en attirant leur attention sur leurs responsabilités dans les accords signés. Je n’ai pas été entendu, il n’y avait pas de raison que je sois particulièrement inquiété. J’ai juste utilisé ma plume et ma parole pour dire qu’il était dangereux d’emprunter la voie choisie.
Vous ne dites toujours pas les raisons de l’attitude du nouveau régime à votre égard.
Il faudrait que vous posiez la question au Président de la République. Moi je ne me l’explique pas autrement que par le fait que je suis là et qu’on ne m’ait pas arrêté. Si vous demandez au procureur, il pourra vous dire pourquoi Mamadou Koulibaly n’a pas été arrêté. C’est vrai que la question insinue que c’est parce que je suis Dioula qu’on ne m’a pas arrêté, mais un de mes meilleurs amis, Diabaté Bêh (conseiller économique et social et membre de la direction du Fpi, ndlr) qui est du nord, de Kouto, près de Boundiali est dans la même en prison que Michel Gbagbo et Affi Nguessan. Je ne le soupçonne pas d’avoir détourné quoi que ce soit ou tué qui que ce soit, mais il y est. C’est une question intéressante qui est à poser à ceux qui arrêtent et qui emprisonnent.
Votre présence à l’investiture donne à penser à certains que vous êtes le pion de rechange de la France, si Ouattara échoue.
Je vais revenir sur la raison que j’ai toujours donnée. Je n’étais pas à l’investiture de Gbagbo Laurent parce que j’étais à Accra, les frontières étaient fermées. Mais dès mon retour, je suis allé voir le Président Gbagbo pour échanger avec lui, et c’est après cet échange que j’ai engagé des démarches auprès de Monsieur Ouattara, pour que nous puissions assez rapidement mettre balle à terre. Quand le Président Ouattara organisait son investiture, j’étais là parce que nous étions dans une situation d’Etat d’exception, et je suis venu pour aider les Ivoiriens à en sortir. Il régnait une violence extraordinaire à Abidjan, où l’on poursuivait les militants Lmp, Cnrd et ceux qui étaient ethniquement marqués dans les quartiers. Il a bien fallu que quelqu’un monte au créneau pour arrêter cela ; je suis venu et je l’ai arrêté. J’ai aidé à entrer dans l’Etat de droit en facilitant l’arrivée de Yao N’dré et en facilitant l’organisation de l’investiture, conformément à ce que le panel (de l’Ua) a dit et si après ce passage, les organisations des droits de l’homme ont pu signaler les exactions des Frci qui se perpétuaient dans les brousses et en ville, il a d’abord fallu que quelqu’un soit le premier à le dénoncer et je l’ai fait. Il a bien fallu que quelqu’un impose l’Etat de droit, je l’ai fait. Dans le cas du Président Gbagbo, ce n’était pas nécessaire et j’étais à l’étranger. Par ailleurs, ma présence n’était pas indispensable : je n’étais ni membre du Conseil constitutionnel, ni membre de la CEI, j’étais simplement le Président de l’Assemblée nationale, mon absence n’avait aucune importance. Dans le cas de Ouattara, je venais sauver une situation qui évoluait dangereusement vers le schéma rwandais. Je suis fier de mes amis qui ont courageusement accepté de m’accompagner dans ces moments difficiles et délicats de notre histoire. Chaque fois que l’Etat de Côte d’Ivoire a été en danger, ils étaient là pour m’appuyer pour que nous sauvions la situation. En ce qui concerne mes relations avec la France, il faut laisser les gens fantasmer. Chaque jour qui passe nous révèle un peu plus qui est courtisan à Paris et qui ne l’est pas, au grand désespoir de pas mal d’endoctrinés qui pensent que pour réussir en politique en Afrique, il faut faire la cour à l’Elysée. Une bonne leçon de la crise ivoirienne, c’est que tous les courtisans ne s’asseyent pas à la table du roi. Ma conviction est que ce n’est pas à Paris de choisir nos présidents de la république, mais à notre peuple. C’est toujours nous qui allons chercher la France pour qu’elle interfère dans nos décisions alors que nos textes proclament que c’est notre peuple qui est le souverain. Je m’efforce d’expliquer pourquoi il faut rendre le peuple capable d’assumer sa responsabilité de souverain. Apprendre aux populations les principes du gouvernement libre et de la démocratie sans tribalisme et ethnicité. LIDER en est l’instrument privilégié. C’est parce que aux dernières élections tous les candidats étaient des courtisans à Paris que certains ont le sentiment que Paris a décidé de qui devait être président. C’est se moquer des Ivoiriens que de penser que leur vote était inutile et sans effet sur le résultat du scrutin.
Comment se sont passées les tractations pour que Paul Yao N’dré vienne dédire la chose jugée ?
Non, Paul Yao N’dré ne s’est pas dédit. Lorsque les élections ont eu lieu, il y avait deux vainqueurs proclamés. La CEI donnait Ouattara vainqueur, le Conseil constitutionnel en a désigné un autre. Nous étions en situation conflictuelle, les deux parties se sont entendues pour designer un arbitre : le panel de l’UA. Dès lors que les deux parties s’entendent pour oublier les institutions ivoiriennes et s’adresser à une institution internationale, elles sont d’accord pour en accepter la décision. Le panel ayant tranché, Yao N’dré a simplement dit : ’’Bakayoko a dit que Ouattara a gagné, moi je dis que c’est Gbagbo qui a gagné, les deux s’en sont remis à l’UA, et le panel juge que Ouattara a gagné, donc moi je dis aux Ivoiriens que Ouattara a gagné.’’ Il ne s’est pas dédit. Les gens oublient souvent de se demander pourquoi les deux parties ont accepté l’arbitrage international, violant ainsi les dispositions constitutionnelles ? La décision du Conseil constitutionnel était irrévocable, pourquoi l’avoir outrepassée ? Arrêtez de blâmer Yao N’dré. C’est très injuste et trop facile. Un jour, il va bien falloir regarder la réalité en face !
Et sur les tractations qui ont abouti à son retour ?
Il faudrait poser la question à Yao Ndré lui-même.
Que faites-vous au Ghana depuis plus de cinq ans ?
Je suis là-bas avec ma famille. Il faut savoir qu’en novembre 2004, les hélicoptères de l’armée française ont mitraillé mon domicile situé non loin de la résidence du Président Gbagbo, et cela a traumatisé mes enfants. Les écoles étaient fermées et, dès le lendemain, je les ai fait partir en Afrique du Sud. Le coût de la vie dans ce pays étant au-delà de mes moyens, je les ai ramenés quelques mois plus tard au Ghana, où ils sont scolarisés. Mon épouse vit là-bas, et moi j’assure mes responsabilités ici. Le Ghana est plus proche, et je pense que j’ai eu raison de le faire en 2004. Six ans après, tous ceux qui aujourd’hui, avec la crise post électorale, ont subi le même type de traumatisme que moi à l’époque sont aussi là-bas. Tous ceux qui me reprochaient d’être là-bas y sont, curieusement. Comme quoi on ne comprend vraiment les situations que quand on les vit.
Quelle est l’idéologie de votre parti, et en quoi diffère-t-elle de celle du Fpi ?
Je vais vous expliquer l’idéologie de LIDER, et vous la comparerez avec celle du Fpi. Je suis un libéral, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Mon premier ouvrage publié en 1992, avant que je ne sois militant du Fpi, avait pour titre ’’Libéralisme, nouveau départ pour l’Afrique noire.’’ Dedans, j’expliquais que le franc Cfa était une monnaie qui handicapait le développement ; que la terre de Côte d’Ivoire et des pays africains était indûment propriété de l’Etat, un communisme qu’il fallait rompre pour rendre la terre à nos parents qui en sont les propriétaires traditionnels ; j’expliquais que la démocratie était une exigence pour le développement, autrement les pays africains continueraient avec les partis uniques, les dictatures, les coups d’état ; je disais que le tribalisme est un gros handicap pour les élites parce que en l’utilisant, elles instrumentalisaient l’ethnie et la tribu ; je soutenais qu’il fallait trouver des méthodes de gouvernement qui rompent avec le présidentialisme fort pour aller vers un système de contrôle qui permette au peuple de voir ce que font leurs dirigeants ; j’expliquais dans cet ouvrage que les présidents de la République en Afrique se comportaient comme des rois, alors qu’ils devaient être des serviteurs. Par la suite, je suis entré au Fpi et cette batterie d’idées a permis au Fpi d’adopter ce que l’on a appelé par la suite l’économie sociale de marché. C’est un travail collectif à l’époque, avec mes camarades du Fpi. Nous nous sommes concentrés autour de cette idée de liberté que le Fpi célébrait déjà depuis 1990. Tous ces éléments ont été intégrés pour l’essentiel, dans le programme de gouvernement du parti. Que ce soient les vues que nous avions de façon concomitante sur la décentralisation, sur le foncier rural, le régime parlementaire, la monnaie etc. Arrivés au pouvoir, nous n’avons pas pu ou plus voulu mettre en application ces politiques, et LIDER reprend ces fondamentaux, parce que nous restons convaincus que ces éléments sont à la base du développement. La terre de Côte d’Ivoire ne doit plus être la propriété de l’Etat, la loi de 1998 sur le foncier rural n’a rien réglé du tout et LIDER pense qu’il faut remédier à toutes ces choses. LIDER estime que les régimes présidentiels sont monarchiques. Il faut un régime parlementaire, qui était d’ailleurs indiqué dans la première constitution que le Fpi a rédigée, mais lorsque nous sommes allés aux débats dans la CCCE sous la transition militaire, ce point de vue a été mis en minorité. Pour LIDER, il faut un régime parlementaire, avec un parlement fort. Ainsi il n’y aura pas deux élections : les députés sont élus, le groupe parlementaire majoritaire choisit son chef pour être Premier ministre ou Président de la République, selon l’appellation que l’on souhaite lui donner. Il gouverne sous le contrôle du Parlement. Et ce contrôle transforme le chef d’Etat ou le Premier Ministre en serviteur qui ne peut plus faire tout ce qu’il veut. LIDER pense qu’il faut une modification constitutionnelle. Notre parti estime que la décentralisation telle qu’elle a été faite n’est pas complète. Les maires et les conseils généraux doivent avoir une autonomie financière. Jusqu’à présent, les moyens financiers sont centralisés à Abidjan et les charges sont décentralisées. LIDER pense que les collectivités doivent collecter les impôts et donner à l’Etat ce qui est à l’Etat. Aujourd’hui c’est le contraire : c’est l’Etat qui décide ce qu’il veut donner quand il veut le donner aux collectivités. LIDER pense que le franc Cfa n’a plus sa place dans la mondialisation, qui implique des économies ouvertes et souples. Le franc Cfa nous bloque dans des rigidités. Il faut renégocier avec les pays membres de la zone franc et la France, pour arriver à une parité souple. Ce sont tous ces éléments qui devraient nous permettre d’avoir une démocratie forte qui respecte les droits de l’Homme. C’est pour cela qu’à LIDER, nous acceptons le fait d’être, pour l’instant, dans l’opposition. Nous ne voulons pas entrer au gouvernement, on ne cherche pas à plaire au gouvernement. A chaque étape, notre rôle est de lui dire que ce qu’il est fait n’est pas bon ou lui dire que nous aurions mieux fait.
Avant vous, Don Mello et Blé Blé Charles avaient quitté le Fpi au plus fort de leur popularité, puis ils ont fait machine arrière, après des déconvenues. Ne craignez-vous pas de vous casser la figure ?
Non, pas du tout ! Je crois fermement que dans la situation actuelle du pays, je n’aurais rien fait qui puisse laisser penser que j’ai laissé le pays choir sans proposer d’alternative. J’aurais certes pu retourner à l’Université et poursuivre mes recherches, mais des amis m’ont fait remarquer que ce serait une attitude lâche et que la Côte d’Ivoire avait besoin d’un autre discours que le tribalisme qui oppose les Ivoiriens les uns aux autres. Tout ce qui nous est arrivé tire sa source d’un fond tribal exacerbé. Le Pdci est identifié aux Baoulé, ou plus généralement aux Akans. Dès qu’on entend Rdr, on dit que ce sont les Dioula, ou plus généralement les Nordistes, et lorsqu’on parle du Fpi, ce sont les Beté, ou plus généralement les gens de l’Ouest, alors qu’il n’y a pas que ces trois groupes ethniques en Côte d’Ivoire. La logique de LIDER, c’est de sortir de cette vision triangulaire de la politique. Chaque Ivoirien peut militer dans le parti de son choix et les partis politiques ne doivent pas être assimilés à l’ethnie de leurs leaders. Depuis que LIDER a été créé, je n’ai pas entendu que c’est un parti de Beté, ou de Dioula… Il faut prouver qu’il est possible de faire la politique sans s’accrocher à l’ethnie et ils sont nombreux, dans ce pays, ceux qui veulent sortir de cette logique. Avant l’arrivée des Frci, c’est un camp qui appliquait le morbide ’’article 125’’ (100 F pour le pétrole, et 25 F pour une boîte d’allumettes), et on brulait des gens simplement parce qu’ils étaient musulmans. Quand les Frci sont arrivées avec le commando invisible, on attrapait les Beté, les Wê, les Attié, on les égorgeait parce qu’ils étaient Lmp. Aucun régime ne devrait soutenir ou faire prospérer ces agissements, et LIDER a été créé pour mettre fin à cela. Et puis, entre nous, pourquoi vous ne prenez que les cas pour lesquels les ruptures ont conduit à des échecs ? Regardez Ouattara, il est parti du Pdci-Rda en 1994 après la mort de Houphouët-Boigny et, avec ses amis, ils ont crée le Rdr. Aujourd’hui en 2011, soit dix-sept ans après, il est le président de la république et porte sous ses ailes le parti avec lequel il avait opéré sa rupture. Toutes les ruptures ne conduisent pas à des échecs. LIDER n’a que deux mois et déjà vous voulez comparer ses performances à celles des partis qui ont, pour certains, plus de 50 ans, sinon 25 et 15 ans. Soyez patients, nous ne faisons pas de miracle. Nous travaillons pour que les idées de liberté, de démocratie et de république s’ancrent durablement dans les traditions politiques de notre pays. Il s’agit d’opérer un changement profond de mentalité. Cela prend du temps. Nous devons redevenir des gens responsables et ne pas toujours chercher des boucs émissaires. Nous devons assumer nos responsabilités.
Quelles sont vos sources de financement ?
Mon épargne personnelle, celle de différents membres. Le loyer du siège a été payé jusqu’à fin décembre, il y a des donateurs qui nous ont payé trois mois d’avance, d’autres ont payé nos factures d’eau, certains nous offrent le mobilier, des ordinateurs et ce sont des bénévoles acquis à notre cause qui travaillent au siège. Il y aussi des cartes d’adhérents. Si l’on en juge par le soutien dont nous bénéficions et l’engouement que nous suscitons spontanément, il faut croire qu’il y avait une réelle demande pour LIDER en Côte d’Ivoire.
LIDER sera-t-il dans la course pour les législatives ?
Oui. Si nous pouvons couvrir l’ensemble du territoire nous le ferons, et si LIDER n’est installé que dans une circonscription, nous aurons un ou des candidats dans cette seule circonscription. Si nous avons un seul élu, nous nous en contenterons pour le moment. Si nous n’en avons pas du tout, nous nous en contenterons. Il y a à peine deux mois que nous sommes nés et nous n’allons pas rêver d’avoir la majorité au Parlement. Nous jouons sur la durée, les municipales, la prochaine présidentielle. Le plus important est de marteler chaque jour dans la tête des Ivoiriens que la politique peut se faire sans s’accrocher aux distinctions tribales. Il faut au contraire trouver tous les thèmes qui rassemblent les Ivoiriens.
Vous-même, êtes-vous candidat à votre propre succession à Koumassi dont vous êtes un élu?
Je serai candidat à Koumassi, aussi bien aux législatives qu’aux municipales.
Le chef de l’Etat a annoncé la fin du mandat du Parlement. Les députés sont-ils oui ou non toujours en fonction ?
Tous ceux qui disent que le mandat de l’Assemblée nationale est terminé violent la Constitution ou ne la connaissent pas. La Constitution ivoirienne dit que la nouvelle Assemblée nationale s’installe entre vingt et cinquante jours au plus tard après les élections législatives. Donc, l’ancienne Assemblée disparait seulement après l’élection de la nouvelle. Nous n’avons pas eu d’élections législatives, comment voulez-vous que l’ancienne disparaisse ? C’est une violation pure et simple des textes. Maintenant, il faut dire clairement que les députés n’ont pas été au premier plan pour dénoncer cet état de fait. Le 22 avril, j’ai voulu faire vivre l’Assemblée nationale en convoquant la rentrée parlementaire. Mais j’ai été aussitôt pris entre deux feux : d’un côté, les députés du RHDP, qui avaient pourtant participé en grand nombre à la conférence des Présidents ayant décidé d’inviter le président Ouattara au Parlement, ont fait profil bas et sont restés sans réaction quand le directoire du RHDP les a contredits et m’a accusé de vouloir par cet acte, légitimer une Assemblée nationale soi-disant dissoute depuis 2005. D’un autre côté, les députés du camp pro Gbagbo, à l’exception du Dr Claude Brissi, étaient absents de ladite conférence des Présidents, certains parce qu’ils étaient en fuite ou cachés, mais ils l’ont surtout boycottée au prétexte que j’étais un traitre qui voulait manœuvrer pour légitimer Monsieur Ouattara. Je suis malheureux de constater que ce n’est que cinq mois plus tard que ces mêmes députés semblent se réveiller dans un bel ensemble pour dire combien il est inacceptable que le président Ouattara légifère par ordonnances, que l’Assemblée ne siège pas et qu’ils semblent enfin se préoccuper du paiement de leurs salaires, de leurs retraites, toute chose que je dénonce et réclame de façon bien solitaire depuis déjà le mois d’avril.
Vos émoluments ne sont donc pas suspendus, vous êtes payés ?
Non. Les émoluments sont suspendus depuis cinq mois et le personnel de l’Assemblée nationale n’est pas non plus payé, alors que dans le budget 2011, il y a une ligne budgétaire pour le fonctionnement de l’Assemblée. Une modique somme qui ne correspond en rien aux émoluments auxquels les personnes concernées ont droit, a été payée très récemment, mais nous ne pouvons pas considérer que cela tienne lieu de paiement des salaires des députés et du personnel de l’Assemblé nationale. La rémunération des parlementaires ne dépend pas du bon vouloir de monsieur Ouattara, elle est fixée par l’article 69 de la Constitution.
Outre le Parlement, comment jugez-vous les cinq mois de gestion du Président Ouattara ?
Si je juge à travers le prisme de l’Assemblée nationale, je vois un Président de la République qui n’a pas de respect pour les institutions de la République. Monsieur Ouattara a prêté serment sur la Constitution de la Côte d’Ivoire en ma présence. Il a dit, devant les Ivoiriens et le monde entier, qu’il s’engage à respecter la Constitution et à la protéger. Pour moi, c’était le gage de la sortie de l’état d’exception, et donc de l’ambiance de guerre qui régnait à Abidjan, pour rentrer dans l’état de droit. Monsieur Ouattara m’a rassuré qu’il voulait gouverner dans un état de droit. Pourtant, depuis son élection, il a proclamé la fin du mandat de l’Assemblée nationale. Il dit que, selon ses conseillers juridiques, ce mandat se termine avec son élection à lui. Je ne sais où ses conseillers juridiques ont vu cela, mais c’est une violation flagrante de la Constitution sur laquelle il a prêté serment, la même Constitution qui lui a permis d’être candidat. Deuxièmement, Monsieur Ouattara s’engage à modeler le Conseil constitutionnel. Il désigne ses membres comme s’il s’agissait d’un nouveau Conseil constitutionnel. La distinction entre des gens nommés pour trois ans et ceux nommés pour six ans n’était valable que pour les conseillers constitutionnels initiaux. Aujourd’hui, il s’agit d’un ancien Conseil, dont le président ne peut être remplacé sauf s’il démissionne. Moi, je n’ai pas vu de lettre de démission de Yao N’dré et pourtant il a été remplacé. C’est illégal. Par ailleurs, la Constitution dit que les membres du Conseil constitutionnel doivent être nommés par le président de la République et le président de l’Assemblée nationale. Parmi les récentes nominations, je ne sais pas lequel j’ai nommé, et pourtant des membres ont été nommés. C’est illégal. La loi dit que les membres du Conseil économique et social sont nommés, et qu’ensuite ceux-ci élisent leur président, et je vois un président de la République qui prend un décret pour nommer le Président du Conseil économique et social. C’est illégal. Même l’actuel président du Conseil constitutionnel a rappelé au Grand médiateur qu’il n’a pas prêté serment parce que ce n’est pas constitutionnel. Cela veut donc dire que la Constitution compte. Mais comment eux-mêmes qui sont nommés de façon illégale veulent-ils rappeler à d’autres les dispositions constitutionnelles ? Ça ne marche comme ça ! Je vois un président de la République qui prend une ordonnance pour créer les Frci, alors que la loi constitutionnelle dit que pour prendre une ordonnance, il faut d’abord l’autorisation de l’Assemblée nationale, et que ce n’est que pour une durée limitée sur un thème limité. Je vois un président de la République qui prend une ordonnance pour fixer le nombre de sièges de députés à l’Assemblé nationale pour la législature 2011/2016. Le Président prend des ordonnances qui sont illégales. Il prend un budget de trois mille cinquante milliards de Fcfa d’impôt sur les Ivoiriens à leur insu, alors que l’Assemblée nationale est là, et une ligne budgétaire, la première, lui est allouée. Donc il y a une succession impressionnante d’illégalités qui sont de nature à affaiblir le bilan des cinq mois de gestion de Monsieur Ouattara.
Vous évoquiez les Frci. Pensez-vous que le chef de l’Etat a les moyens de mettre fin à leurs agissements tant décriés par les Ivoiriens ?
Je n’en sais rien, je sais seulement qu’il est le chef suprême des Armées et que c’est lui qui a pris une ordonnance pour créer les Frci. C’est son armée, il est le président de la République et nécessairement, il a les moyens de gérer son armée.
S‘agissant de la réconciliation nationale, estimez-vous Konan Banny a des chances de réussir sa mission ?
Je lui souhaite beaucoup de chance, parce que s’il ne réussit pas, le pays continuera dans le chaos actuel. Je ne lui souhaite pas d’aboutir à une réconciliation telle que nous l’avons vue à l’époque avec la commission présidée par Seydou Diarra (le Forum de réconciliation nationale, ndlr). En arrivant, le gouvernement a pensé à indemniser les entreprises françaises. Mais il n’y a pas que les entreprises françaises qui ont subi des dommages et des frustrations, mais aussi les entreprises et surtout les particuliers ivoiriens, et ce depuis 1999. Ils continuent d’être lésés sans pour autant avoir accès ni à la justice, ni à aucune réparation. La réconciliation passe pourtant aussi par là. La commission dirigée par Monsieur Konan Banny s’intitule Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Nous espérons donc que la vérité sera faite sur les bombardements de Bouaké, le pilonnage de l’aviation ivoirienne par l’armée française, les tueries de l’hôtel Ivoire en novembre 2004. Nous espérons que la vérité serait mise à jour sur le trafic du cacao et du diamant dans la zone dite CNO, sur l’ouverture d’une usine de traitement du cacao ivoirien à Bobodioulasso. Nous espérons que la vérité jaillira sur l’occupation par des populations burkinabé des forêts classées et non classées dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Une véritable réconciliation ne peut être faite que si toutes les composantes du conflit sont prises en compte. Il y a des pays sanctuaires qui ont abrité la rébellion. Il y a des pays de la Cedeao dont les soldats ont combattu en Côte d’Ivoire. Il y a des pays occidentaux qui ont bombardé les populations ivoiriennes et la résidence de l’ancien chef de l’Etat. Il reste à espérer que Monsieur Banny saura appréhender le problème dans sa globalité. A LIDER nous avons foi en la réconciliation entre les Ivoiriens, mais nous estimons que nous devons aussi nous réconcilier avec nos voisins et nos alliés. Nous n’avons pas les moyens de vivre dans la belligérance permanente avec la misère crasse qui ne cesse de croitre autour de nous. L’intelligence des idées doit se substituer à la force brutale. La persévérance à la facilité. L’audace à la peur et à la fatalité. Redevenons des hommes libres et la vérité rend libre.
Quelle chance a Banny, avec des leaders d’opinion en prison ou en exil ?
C’est à lui de voir s’il termine la réconciliation avant que nous allions aux élections législatives, pendant ou après, je n’en sais rien. C’est à lui de dire aux Ivoiriens comment il va procéder. Ses principales hypothèses doivent être explicitées ainsi que sa méthodologie et les objectifs qu’il se fixe. Nous attendons de voir. Cette commission doit réussir pour ne pas voir les populations désespérer.
A propos des législatives les conditions sont-elles réunies pour un scrutin fiable ?
Si les conditions ne sont pas fiables et que nous y allons, le processus risque de déboucher sur une crise majeure, sauf que cette fois, elle ne sera pas concentrée sur la Commission électorale, le Golf hôtel et Cocody. Il y aura des crises partout en Côte d’Ivoire et ça serait dommage. C’est pour cela qu’à LIDER, nous insistons sur la sécurité, pour que tous les hommes politiques soient capables d’aller où ils veulent sur le territoire national et de revenir en toute sécurité, que leurs partisans puissent aller les écouter en toute quiétude et rentrer chez eux sans être inquiétés, et surtout, que tous ceux qui sont en exil ou réfugiés puissent revenir pour exercer leur droit de vote. Il est difficile d’aller aux élections avec une partie des électeurs au Liberia ou au Ghana. Ce sont des Ivoiriens qui sont sur la liste électorale, et ces élections ne peuvent être crédibles que si tout le monde est là pour voter. Il faut tirer les leçons du dernier scrutin présidentiel. Nous y sommes allés sans sécurité, nous avons eu une guerre. Faisons tout pour aller à ces législatives avec l’assurance que toute la classe politique va y participer. La sécurité et la liberté d’action, d’expression et de circulation des partis d’opposition sont des éléments importants dans une démocratie. LIDER espère que ceux qui ont déversé des bombes sur Abidjan au nom de la démocratie n’abandonnent pas le combat en cours de route. La démocratie ne peut se réduire à un bulletin de vote, même s’il est certifié. Il faut aujourd’hui que chacun prenne la mesure de ses responsabilités pour défendre une vraie démocratie en Côte d’Ivoire.
Interview réalisée par Max Lincoln et Guillaume N’Guettia in La Nouvelle, le 21 septembre 2011