Soro à la Primature: Lobotomisation souhaitée
«En politique, il faut moins résoudre les problèmes que faire taire ceux qui les posent.» (Henri Queuille)
Ainsi donc, cela est vrai. Guillaume Soro est le nouveau Premier Ministre de Côte d’Ivoire. Déprimante pour les uns, risible pour les autres, la décision de Laurent Gbagbo de nommer le chef rebelle aux mains souillées de sang à la tête du gouvernement ivoirien suscite surtout une perplexité croissante quant aux véritables desseins du chef de l’Etat éburnéen. Est-il prêt à tout, juste pour conserver son fauteuil le plus longtemps possible, comme le laissent supposer ses récentes actions et prises de paroles, ou ces dernières s’inscrivent-elles dans le cadre d’un savant et sinueux plan d’émancipation et de développement de la Côte d’Ivoire ?
Le décret de nomination que Guillaume Soro est venu, tout sourire, chercher à la Présidence de la République la semaine passée met fin au pitoyable interlude Charles Konan Banny. Mais il n’est pas certain pour autant que les Ivoiriens y gagnent au change. Un bouffon contre un criminel. En effet, en dépit des intéressants exercices de style auxquels se livrent depuis quelques temps les médias proches du pouvoir, se pliant aux injonctions d’un Laurent Gbagbo qui a nouvellement endossé les atours bien peu seyants de censeur de presse, la réécriture de l’Histoire demeure une tâche ardue. Même si toute une armada de journalistes et conseillers en communication, autrefois symboles de patriotisme et d’intégrité intellectuelle, est mise à contribution, rien n’y fait : la pilule ne passe pas. Et tout le matraquage médiatique qui consiste à refaire un curriculum au nouveau Primus n’arrive pas à faire oublier les actes barbares et sanglants dont Guillaume Soro a été l’auteur et l’instigateur. N’est-il pas vaudevillesque de se remémorer l’unanime levée de boucliers de ces mêmes intervenants lorsqu’au sortir de Kleber en 2003, Soro exigeait les ministères de la Défense et de l’Intérieur ? Et pourtant, le voilà nommé à la tête de tout le gouvernement, seulement quatre ans plus tard. Qui eut cru que l’accord de Linas Marcoussis serait un jour amèrement regretté sur les berges de la lagune Ebrié ? Morale de l’histoire : Prends des armes, tue un grand nombre de tes prochains et Premier Ministre tu seras.
Alassane Dramane Ouattara, Henri Konan Bédié, Seydou Diarra, Charles Konan Banny… La liste des victimes politiques de la sale guerre de la France contre la Côte d’Ivoire ne fait que s’allonger. Difficile de s’en plaindre. Mais s’il ne fait aucun doute que Guillaume Soro sera lui aussi «cannibalisé» par Laurent Gbagbo, il n’en demeure pas moins qu’aucune avancée notable n’a été faite concernant une résolution pérenne de la crise. Banny, Ouattara, Soro et même Compaoré ne sont que des marionnettes. Le vrai adversaire des Ivoiriens, c’est la France. Et si l’aboutissement du processus de libération de la Côte d’Ivoire devait réellement passer par un dialogue direct, alors les signatures au bas de l’accord de Ouagadougou auraient dû être celles de Jacques Chirac et de Laurent Gbagbo.
Certes, il ne fait aucun doute que la France a été partie prenante de l’accord «historique» tant vanté et si peu critiquable ces dernières semaines. Le ballet des missi dominici qui se sont succédés à Abidjan, puis dans la capitale burkinabé depuis la fin du mois d’Octobre 2006 est on ne peut plus explicite. Mais comment se fait-il que personne ne se soit offusqué du rôle de médiateur attribué à Blaise Compaoré, alors qu’il est clairement établi que la France lui avait précédemment sous-traité tout le volet militaire de ses attaques contre l’Etat de Côte d’Ivoire ? Et quid des intérêts économiques qui ont motivé les diverses tentatives de renversement du régime Gbagbo par Jacques Chirac ? Quid des investissements effectués par la France au Burkina Faso pour la mise en place d’une sanglante filière détournée du cacao ? Quid de l’exploitation du pétrole, du gaz et de toutes les ressources naturelles qui a justifié l’envoi et le maintien onéreux de milliers de soldats français au sein de la force Licorne et l’extermination de citoyens ivoiriens par l’armée française en mondovision ? Pourquoi, en signant l’accord de Ouagadougou, Gbagbo a-t-il choisi de ne pas donner le coup de grâce au système françafricain pérennisé par une Chiraquie qui n’avait jamais été dans une telle position de faiblesse ? Pourquoi Laurent Gbagbo privilégie-t-il la cosmétique là où une intervention chirurgicale paraît de mise ?
A première vue, la stratégie de gestion de crise de Laurent Gbagbo semble se réduire à un enchainement d’actes inconséquents. Ceci est certainement trompeur, puisque l’homme vaut bien mieux que cela. Laurent Gbagbo a réussi à se hisser en première ligne des héros contemporains de l’indépendance africaine, comme Paul Kagame ou Thabo Mbeki. Mais la nomination de Guillaume Soro au poste de Premier Ministre est tout sauf anodine. L’engagement des populations ivoiriennes aux côtés de Laurent Gbagbo découle d’un choix de conscience. Leur imposer comme chef de gouvernement un individu qui, depuis cinq ans, est coresponsable de leurs souffrances, de leurs misères et de leurs malheurs, en assortissant cette décision d’une interdiction de penser, de critiquer ou de s’exprimer est irrecevable. Si ce décret fait effectivement partie d’un plan complexe ourdi par le président ivoirien pour extraire son pays de la mainmise française, il est évident que des explications – et non des oukases – sont attendues par ceux qui, depuis 2002, se sont engagés sans faillir dans une lutte contre des adversaires puissants, visibles et invisibles.
«A chaque fois que tu entends un homme dire qu’il veut la liberté, mais en même temps énoncer ce qu’il ne fera pas pour l’avoir, sache qu’il ne croit pas à la liberté. Un homme qui croit à la liberté fera n’importe quoi dans ce monde pour l’acquérir ou pour la préserver.» Paroles de Malcolm X à méditer.
Mahalia Nteby