Sortir des impasses

Publié le par Mahalia Nteby


Semaine bien instructive que celle qui vient de se dérouler ! Elle a permis à tous les analystes vigilants de comprendre la stratégie de fond du bloc franco-rebelle après le vote de la résolution 1721. Et quelques semaines avant le début de la «trilogie de la fissuration du front anti-Gbagbo», selon l’expression utilisée par le Pr Mamadou Koulibaly qui évoquait dans son article publié par Le Courrier d’Abidjan, les départs programmés de Jacques Chirac et de Kofi Annan ainsi que les prochaines difficultés électorales d’Abdoulaye Wade ! La tentative d’insurrection cordonnée par le Premier ministre Charles Konan Banny et ses amis du RHDP, mais aussi les dernières éructations du GTI et les agitations de Guillaume Soro à Bouaké font partie, à l’évidence, d’un plan d’ensemble visant à produire des résultats rapides. Décryptons-le.

Alors que la plupart des journaux traitaient sous tous les angles la pseudo «révolution blanche» co-organisée par Banny, le RHDP et la Licorne , le quotidien Nord-Sud choisissait – ce qui est un signe des temps à ne pas négliger – d’évoquer toute l’agitation orchestrée par Guillaume Soro autour des «réformes» qu’il compte mettre en place dans ses zones. En gros, le chef visible de la rébellion veut arracher l’argent des mains des chefs de guerre et «comzones» pour créer des régies financières. Il a, dans cet objectif, recruté un expert togolais qui est par ailleurs, consultant à la Banque mondiale. Parallèlement, il a proclamé sa volonté de transformer sa horde de porteurs de kalachs hirsutes et dépenaillés en «armée de métier». Il a, pour cela, recruté le ministre de la Défense du Togo de Gnassingbé Eyadéma – en service lors des négociations de Lomé au début de la guerre, ce qui nous montre une fois de plus la profondeur de cette crise. Bien entendu, les deux démarches sont liées. Puisqu’un petit «Etat» dans le nord de la Côte d’Ivoire permettrait de détourner durablement une partie du cacao, du café, du coton et de l’anacarde de Côte d’Ivoire vers le port de Lomé. Bien entendu, le caractère intrinsèquement françafricain du régime togolais – et surtout des vieux barons de l’éyadémisme canal historique – indique que Paris soutient la nouvelle trouvaille des rebelles. Une sécession sans les mots. La consolidation de «l’Etat du nord» est de toute façon une nécessité vitale pour le bloc franco-rebelle. Comment aller à la réunification alors que Soro n’a que quelques dizaines de militaires issus des FDS à mettre dans «le panier commun» ? Par ailleurs, laisser l’entropie gagner les zones occupées est la meilleure manière de rendre service, politiquement et électoralement, au président Gbagbo. La France et son satellite togolais aideront donc Soro à établir une administration et une armée. Ils aideront Soro à améliorer sa télévision, à mettre en place sa chaîne par satellite, à bâtir une agence de presse. A créer un répondant étatique au pouvoir d’Abidjan. Plus que jamais, Bouaké doit être un roc.

Bouaké doit être un roc, et Abidjan une passoire. Bouaké doit incarner l’ordre, et Abidjan le chaos. Le principe de l’ordre de Bouaké doit, au final, prévaloir sur le chaos d’Abidjan et ainsi se légitimer. Un peu comme le Front patriotique rwandais (FPR) administrait bien les zones qu’il avait conquises et est entré dans l’Histoire comme l’entité politique qui a arrêté le génocide.

Il faut absolument du désordre à Abidjan. Les messages insurrectionnels et sécessionnistes subliminaux du Premier ministre, l’agitation d’une opposition politico-armée qui s’est rangée sans fausse pudeur derrière lui et les provocations du GTI sont les trois armes de choix au service de cette stratégie. Sera-t-il possible de résister à cette lame de fond «par petites touches» ?

Non. Pour cette raison, la reprise en main des médias d’Etat, mis au service d’une idéologie perverse jouant la plupart du temps sur l’inconscient des populations est une bonne chose. Mais c’est insuffisant. Le défaut des animateurs du bloc rebelle, c’est qu’ils confondent toujours ce qui leur a été donné et ce qu’ils ont conquis. Ainsi pensent-ils que la source principale du financement de leur guérilla politique – les fonds publics glanés grâce à la Primature et à leurs ministères – sera toujours à leur disposition. Pour la stabilité de la zone gouvernementale, il est plus qu’urgent que le président de la République ferme les robinets. Cela obligera Banny et le RHDP à mener leur combat d’opposants… dans l’opposition !

Une fois la zone gouvernementale récupérée et administrée de manière conséquente, la stabilité sera à portée de main. Ne restera plus qu’une sécession assumée, comme celle qui a coupé l’Allemagne en deux pendant la guerre froide. Deux Etats tentant de faire leur chemin dans l’univers coriace de la mondialisation, responsables de leurs citoyens, des soldes de leurs fonctionnaires, de l’approvisionnement en eau, en électricité et en téléphone, des politiques publiques de santé et d’aménagement se faisant face, et choisissant de se réunifier parce qu’au fond ils ne forment qu’une Nation.

Poussée à son extrême, la logique rebelle se révélerait très contrariante pour le «grand parrain» basé à Paris, qui serait obligé de maintenir ses troupes sur la longue durée sans espoir d’utiliser la sécession du Nord pour semer le chaos dans le Sud et l’administrer à travers des résolutions internationales se justifiant par la rente de situation de la partition.

Franchement, pourquoi ne pas envisager des élections générales dans la partie de la Côte d’Ivoire que la France veut bien laisser à la République ?

Théophile Kouamouo in Le Courrier d'Abidjan, 04 Decembre 2006

Publié dans Côte d'Ivoire

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